INTERVIEW. Médias : dans son livre, Jonathan Curiel analyse la « société de l’hystérisation » ?
Le directeur général adjoint des programmes de M6 analyse dans un livre la dégradation du débat public.Publié le 12 décembre 2021|Mis à jour le
Clash, accusations, formules agressives, attaques directes… Partout, le débat semble avoir fait place à l’invective. Dans son dernier livre paru aux éditions de l’Aube, Jonathan Curiel, DGA des programmes du Groupe M6 en charge des magazines et documentaires analyse ce qu’il appelle « la société hystérisée ». Rencontre.
La société est-elle vraiment plus hystérique qu’avant ?
L’hystérie ne date pas d’aujourd’hui. C’est un phénomène cyclique. L’affaire Dreyfus a été un grand moment d’hystérie, tout comme les procès des sorcières de Salem situés entre 1692 et 1693, ou encore le maccarthysme, la chasse aux sorcières anticommuniste aux États-Unis et les grandes crises économiques. Actuellement, nous vivons à nouveau une polarisation extrême, où la détestation l’a emporté sur la recherche de la concorde. Dans les années quatre-vingt-dix, quand on interrogeait des Démocrates et des Républicains, 20 % avaient une mauvaise image de l’autre. Ils sont maintenant 80 % !
Tout le monde a une opinion et ne supporte plus celle des autres. Il n’y a plus de place pour la nuance, la complexité ou même le désaccord constructif. On s’est comme déshabitués à débattre. L’enfermement dans des bulles d’information avec des gens qui pensent comme nous ou au contraire l’exposition à des contenus qui agissent comme des chiffons rouges et viennent renforcer la colère et les opinions négatives ont accentué ces formes de rejets brutales. Avec des moments de déchaînement, comme on a pu le voir avec lors du mouvement des Gilets jaunes, ou encore lorsque des foules ont envahi le Capitole. C’est un phénomène contagieux, viral, amplifié par les médias et surtout les réseaux.
On accuse désormais les réseaux sociaux de propager des formes de haine. Mais ne sont-ils pas juste un miroir ?
La société et la rencontre physique peuvent agir comme une forme de régulation des pulsions. L’anonymat des réseaux les libère. Et depuis 15 ans, nous nous sommes habitués au spectacle constant de l’affrontement. Jusqu’à ce que l’indignation devienne le langage des réseaux : on dénonce, on prend position, on s’oppose pour exister. Car les opinions sont devenues identitaires. On est ce que l’on professe. Alors qu’avant, une opinion était plus secrète et n’était qu’une part de la personnalité exprimée. Maintenant, il faut s’affirmer, voire s’affronter.
Les réseaux ont aussi rendu très visible la fragmentation de la société. Et aiguisé chez certains le sentiment d’être les perdants de la mondialisation, en rendant d’autant plus visibles les inégalités. Avec un ressentiment vif.
Quel rôle jouent les médias, souvent accusés d’attiser l’hystérie pour faire monter les audiences ?
Effectivement, on peut noter un emballement médiatique sur certains sujets, une volonté de polémique et de spectacularisation pour attirer l’attention notamment sur les chaînes d’infos continues. Mais les médias ne me semblent pas être le premier carburant de l’hystérisation récente.
Et je ne suis pas certain que les spectateurs, lecteurs, internautes souhaitent ces affrontements. Le nombre de talk-show virulents a baissé sur les chaînes, remplacé par différents types de programmes, plus de documentaires, d’enquêtes fouillées, de magazines d’information… Je vois au contraire une demande d’apaisement. Avec le succès par ailleurs de programmes plus légers, assez nostalgiques, voire régressifs. Et de programmes liés à la découverte et à l’évasion qui nous font sortir de notre salon et partir très loin.
Il y a une forme de rejet de l’hystérisation, une fatigue de cette société de la polémique. C’est le retour d’une sorte de télé doudou. À l’image du besoin de cocooning, de repli sur la sphère domestique et familiale que l’on constate aussi d’un point de vue sociétal.
Nostalgie d’une société en ordre, d’une apparente simplicité d’un côté et colère simultanée de l’autre, y’ a-t-il des solutions ?
L’université de Stanford a récemment rassemblé des gens dans une même enceinte pour les faire débattre pendant cinq jours autour des principales thématiques de la campagne américaine de 2020. Initiative intitulée « America in one room ». A la fin, ceux qui étaient arrivés très divisés se sont mis d’accord sur 22 propositions sur 26…Initiative rééditée le mois dernier sur l’écologie. La politique tourne autour de ces nouvelles formes de concertation, de réinvention du débat, d’implication des citoyens. Grand débat, conventions citoyennes…